Cet article fait suite à une conférence donnée dans le cadre de l’Université d’Eté de la Libération Animale, que nous remercions pour nous avoir donné l’opportunité d’explorer ce sujet.
Voici la première des trois parties, qui fait office d’introduction. La deuxième sera publiée le 15 août.
Introduction : pourquoi parler de capitalisme ?
La politisation du mouvement animaliste est un fait récent et encore timide. Elle a commencé avec la remise en question salutaire de l’hégémonie de la stratégie véganiste. Cette stratégie, qui est encore la plus répandue parmi les actions visant à lutter contre l’élevage pour l’alimentation, prend les individus pour cibles et vise à encourager les conversions au véganisme, essentiellement par la sensibilisation. Précieuse, car elle permet d’attirer de nouveaux et nouvelles allié.e.s au sein du mouvement et d’encourager les alternatives à la consommation de produits animaux, elle ne se suffit pourtant pas à elle-même car échoue à faire de l’exploitation animale un problème de société, un enjeu collectif. C’est là que la notion d’antispécisme entre en jeu et a permis d’apporter une nouvelle dimension au mouvement pour l’ériger au rang d’une lutte sociale pour les droits d’un groupe d’individu.e.s structurellement opprimé.e.s.
Toutefois, ce niveau de politisation n’est pas suffisant pour que le mouvement soit cohérent avec ses idéaux et ait une portée sociétale suffisamment large.
Une partie non négligeable du mouvement espère transcender les clivages idéologiques gauche/droite pour accepter tout type de militant.e en son sein. C’est ainsi que l’on se trouve avec un mouvement composé aussi bien de militant.e.s à sensibilité écologiste, défenseur.se.s des luttes sociales, décroissant.e.s… que de militant.e.s de droite, voire d’extrême droite, misogynes, racistes, islamophobes. A l’Assemblée nationale, certain.e.s député.e.s de droite se disent sensibles au “bien-être animal”, le Parti animaliste garde une position neutre sur la plupart des sujets de société, des personnalités fascistes telles que Brigitte Bardot sont érigées en symboles de la cause. La cause animale est vécue ainsi comme une cause qui rassemble, au-delà des divisions politiques, un sujet auquel chacun.e peut adhérer de manière universelle. Tout ce qui est fait au nom des animaux est bien, est grand. Si certain.e.s voient en cette diversité politique un atout (plus nous sommes nombreux.ses à nous battre, mieux c’est pour les animaux… non ?), elle peut devenir en réalité un danger pour le mouvement en fourvoyant les valeurs qui le portent et en l’entrainant dans des impasses stratégiques desquelles il sera difficile de sortir.
Lutter contre le spécisme en laissant exister les autres oppressions structurelles, c’est s’attaquer à la surface du problème en négligeant sa source. Il ne suffit pas de déclarer que le spécisme est une oppression à dimension systémique et qu’il faut lutter contre l’idéologie de la suprématie humaine pour avoir un projet de société.
Car c’est bien là le sens originel de la politique (qui vient du grec polis, la cité) : l’organisation et la structuration d’une communauté. Porter un projet politique antispéciste, c’est vouloir harmoniser les communautés animales et les communautés humaines de telle sorte que les droits de chacun.e soient respectés ce qui ne peut se faire sans prendre en compte toutes les autres dimensions du politique : le social et l’économique.
L’antispécisme va donc se voir obligé de prendre à bras le corps la question du capitalisme, qui est le modèle économique largement dominant dans le monde et qui structure les relations sociales aujourd’hui… y compris celles que nous entretenons avec les animaux.
Sur le papier, le capitalisme désigne un régime politique et économique reposant sur la propriété privée des moyens de production et leur mise en oeuvre par des travailleurs.ses qui n’en sont pas propriétaires. Il repose également sur le libre échange des marchés et la libre concurrence. Dans les faits, sa loi fondamentale est la recherche systématique de profit, c’est-à-dire de plus-value grâce à l’exploitation de la force de travail des travailleurs.ses par celleux qui possèdent les moyens de production. La plus-value devient un nouveau capital qui pourra devenir une nouvelle source de plus-value, et ainsi de suite.
Le capitalisme va donc de paire avec l’idée de croissance économique, d’accumulation des richesses, et repose sur l’exploitation des ressources terrestres et l’accroissement de la population – plus la population grandit, plus la main d’oeuvre disponible est importante. Ce modèle s’est nourri et a renforcé les inégalités sociales partout à travers le monde, au sein de mêmes pays et entre différents pays ; il est responsable de la crise écologique que nous traversons.
Quel rapport avec les animaux, vous demandez-vous peut-être ? La réponse vous sera donnée dans deux articles qui suivront cette introduction. Peut-on créer une société antispéciste dans un monde capitaliste ?